« Nous aimons encore bien enfiler nos bottes »

21/12/2021

Le boom de l’e-commerce a bien profité au promoteur spécialisé dans l’immobilier logistique MG Real Estate. Mais le CEO Ignace Tytgat garde la tête froide. Il le sait, le secteur logistique a aussi connu des temps difficiles.

MG Real Estate | Ignace Tytgat

C’est avec un an de retard que MG Real Estate célèbre ses vingt ans d’existence. Les performances récentes du promoteur familial spécialisé dans l’immobilier logistique justifient elles aussi une petite fête. En 2020, les fonds propres du groupe sont passés de 98,3 millions à 109,8 millions d’euros.

Cette année, MG Real Estate augmentera encore ses fonds propres de 36 pour cent, pour atteindre quelque 150 millions d’euros. Les cinq dernières années, les effectifs ont également doublé de 30 à 60 personnes. A la tête de l’entreprise, le fondateur Ignace De Paepe assume désormais la fonction de président. L’ancien sales director Ignace Tytgat lui a succédé en tant que CEO.

« N'appelez pas cela une reprise de flambeau », souligne Tytgat. « Nous y voyons plutôt un renforcement de la structure de l’entreprise. Ignace De Paepe peut ainsi se focaliser davantage sur la stratégie et les grands investissements. En cas de négociations importantes, il est toujours de la partie, lui aussi »

A en juger par les résultats, vous n’avez pas été trop impactés par la crise du coronavirus.

IGNACE TYTGAT. « La gestion de l’entreprise a tout de même été nettement plus difficile qu’avant. Surtout du fait que nous opérons aussi à l’étranger. Nous avons continué à construire, mais ces chantiers, on veut pouvoir les suivre aussi. Construire ‘à l’aveuglette’ n’est pas vraiment confortable. C’était par exemple très difficile d’envoyer nos collaborateurs sur nos chantiers au Danemark. Le fait que chaque pays européen applique ses propres règles et procédures de testing corona, cela n’aide pas non plus.

Mais nous devons aussi admettre que le secteur logistique a bien mené sa barque durant cette crise. Le corona a engendré un boom de l’e-commerce. Avec l’échouage du porte-conteneur Ever Given dans le canal de Suez, cela a poussé les entreprises à constituer plus de stocks. Ce qui se traduit alors souvent par une forte intégration de biens immobiliers logistiques. »

Quel est le poids du segment logistique dans vos activités ?

TYTGAT. « La logistique représente à peu près 75 pour cent de notre portefeuille. C’est le coeur de notre métier. Pour notre croissance à l’étranger, nous nous focalisons aussi sur ce segment. Mais en ce qui concerne notre marché domestique - la Belgique et le Luxembourg - nous opérons aussi dans d’autres segments : l’immobilier résidentiel, les bureaux, les surfaces commerciales et quelques projets mixtes. Pour l’immobilier résidentiel, il faut presque une connaissance microscopique du marché : quelle est la demande d’appartements à Gand ou à Vilvoorde ?

La logistique peut être abordée au niveau macro : quels sont les hot spots logistiques en Europe ? Où se trouvent les noeuds multimodaux dans un pays ? Où se situent les principaux terminaux à conteneurs ? Nous avons un portefeuille substantiel de projets résidentiels. Nous démarrerons prochainement le développement du Marcelis Garden à Malines, par exemple, un projet de 2.000 unités. Pour notre diversification, nous entendons alimenter systématiquement ce pipeline résidentiel. Car l’immobilier logistique surfe déjà depuis quelques années sur une forte vague, mais ce marché a déjà connu aussi des temps difficiles. Les projets de bureaux nous intéressent toujours aussi. Si une occasion se présente, nous l’examinerons certainement. Nous construisons ainsi sur la Kortrijksesteenweg à Gand un immeuble de bureaux de 7000 mètres carrés. Actuellement, nous ne prospectons pas le marché des projets retail, mais les magasins ont tout de même parfois une place dans nos projets mixtes. »

Après ce boom de l’e-commerce, la pression sur le marché de l’immobilier logistique va peut-être un peu diminuer.

TYTGAT. « L’e-commerce s’est fortement développé, mais bon nombre d’acteurs importants de ce secteur n’ont pas encore atterri en Belgique, par exemple, ou alors l’ont fait récemment. PostNL est certes déjà active depuis des années dans notre pays, mais c’est cette année que nous avons construit le premier vrai grand centre de distribution belge de PostNL à Willebroek.

En octobre, nous avons livré, également à Willebroek, un entrepôt pour Colis Privé. DHL construit un réseau de centres de distribution urbains dans notre pays. Bref : cette vague que nous avons vue il y a cinq ans environ aux Pays-Bas, arrive maintenant en Belgique.

Le secteur de l’e-commerce devient plus mature. On investit davantage dans l’automatisation et l’optimalisation. C’est vrai, cela ne se traduit pas toujours par de nouvelles constructions, mais c’est tout de même souvent le cas. »

Les critiques contre le modèle de l’e-commerce enflent aussi. Il ne serait pas très durable.

TYTGAT. « Certaines pratiques datant de la percée de l’e-commerce ont subsisté et ont parfois mal tourné. Personnellement, je trouve l’idée du ‘commandé aujourd’hui, livré demain' pas toujours aussi utile ou sensée. En même temps, je constate que beaucoup d’acteurs de la logistique et de l’e-commerce investissent lourdement dans la durabilisation de leur chaîne logistique. Pour Eutraco, nous avons conçu un bâtiment neutre en énergie et en CO2. Des pompes à chaleur assurent le chauffage et des panneaux solaires fournissent l’électricité. Je pense aussi aux centres de distribution en périphérie urbaine, qui approvisionnent les villes grâce à des livraisons groupées en vélo-cargo ou en véhicule électrique. C’est un modèle formidable, mais on sent tout de même dans beaucoup de villes une certaine réticence à délivrer les permis. Elles craignent que cela ne génère du trafic supplémentaire. Mais ce trafic y passe déjà aujourd’hui. Autant, dans ce cas, l’organiser de manière intelligente et durable. »

Que doit faire la Belgique pour préserver sa position de hot spot logistique ?

TYTGAT. « La rareté des terrains est le plus grand défi. La reconversion de terrains et de bâtiments est une partie de la solution, mais il faudra néanmoins trouver aussi de nouveaux terrains. Je vous l’accorde, du point de vue de l’aménagement du territoire, ce n’est pas simple. Surtout en Flandre, où il faut tenir compte de l’environnement à peu près partout. « Une autre question prioritaire, c’est le travail nocturne. La question n’est toujours pas totalement résolue. Pour le secteur du transport, une réglementation existe, mais pour le secteur du retail et de l’e-commerce, le gouvernement fédéral n’a pas encore pris de décision.

Aujourd’hui, c’est peut-être un peu moins à l’ordre du jour, car beaucoup de demandes concernant de grands centres logistiques sont déjà passées. »

Ces centres se sont implantés dans les pays voisins, et surtout au Pays-Bas. Avons-nous raté le train ?

TYTGAT. « Pour moi, c’est toujours une question ouverte. Une solution tardive n’existe pas. Avons-nous raté le train ? Peut-être, mais il y aura bien un autre train qui passera.

A la différence de vos concurrents belges Montea et WDP, MG Real Estate n’est pas très présent aux Pays-Bas.

TYTGAT. « Nous avons réalisé deux projets aux Pays-Bas : un entrepôt de 11.000 mètres carrés à Roosendaal pour Yusen Logistics - dans un joint venture avec le Néerlandais SDK Vastgoed - et un complexe logistique de 80.000 mètres carrés à Eindhoven. Et nous venons aussi de signer un contrat pour un projet de 60.000 mètres carrés à Flevokust pour Jisk. Nous sommes donc bien présents aux Pays-Bas, mais nous aimons croître avec nos clients et cela s’est moins fait chez nos voisins du nord jusqu’à présent. Entre-temps, nous avons en revanche développé une solide activité dans les pays scandinaves. Pour FedEx, nous avons réalisé un bâtiment à l’aéroport de Copenhague. Assez vite après la livraison, l’entreprise d’équipements de soutien aéroportuaire TCR s’est elle aussi adressée à nous pour la réalisation d’un bâtiment de maintenance. Nous y avions une équipe, nous y avions déjà acquis énormément de connaissances aussi. Cela aurait été très dommage de laisser se perdre toute cette valeur accumulée. De là, la décision de continuer à investir dans la région. A une vingtaine de minutes de voiture de Copenhague, nous avons acquis un terrain pour lequel nous avons obtenu maintenant un permis pour un projet logistique de 100.000 mètres carrés. Un peu plus à l’ouest, à Fredericia, nous avons acquis un terrain avec un permis pour 80.000 mètres carrés. Et entre-temps, nous sommes également actifs en Suède. L’aéroport de Copenhague travaille en étroite collaboration avec le port de Malmö et cela a engendré de nouvelles opportunités pour nous. Nous y avons déjà réalisé un bâtiment pour le fabricant de cuisines Smeg et nous y construisons actuellement 18.000 mètres carrés pour Westerman Logistics. »

Avez-vous l’intention de vous diversifier davantage géographiquement aussi ?

TYTGAT. « Si vous regardez nos positions foncières destinées aux projets logistiques, la Belgique est toujours, avec un peu plus de 40 pour cent de celles-ci, notre principal marché. Mais les pays nordiques suivent de très près. Le reste se répartit sur quelques pays européens. Avec quelques renforts de notre équipe actuelle, nous pouvons déjà gérer un ou deux marchés supplémentaires. Aujourd’hui, nous nous tournons surtout vers l’Italie et la France. Certains clients sont également demandeurs pour nous suivre sur ces marchés étrangers. Cette croissance de type organique permet de garder le caractère familial de cette entreprise. Si nous voulions tout d’un coup attaquer cinq nouveaux marchés, cela impliquerait inévitablement une structure de management plus lourde et des processus décisionnels plus longs. Nous voulons éviter cela. Nous voulons nous développer, mais nous ne devons pas nous développer. Et nous voulons surtout nous développer dans les pays où nous sommes déjà actifs. »

Pour financer ces projets de croissance, vous avez fait appel à des investisseurs obligataires en début d’année. Une cotation en Bourse n’est pas à l’ordre du jour ?

« Nous sommes très satisfaits de cette émission d’obligations. Nous pouvons ainsi renforcer nos capacités sans perdre notre indépendance. Nous nous qualifions nous-mêmes de promoteur à très haut débit. Nous pouvons être très réactifs grâce aux relations de confiance que nous avons avec nos fournisseurs, mais aussi du fait que nous pouvons décider nous-mêmes rapidement. Comme je l’ai déjà dit, MG Real Estate est une entreprise familiale avec des lignes hiérarchiques très réduites et un seul actionnaire. Nous avons déjà été courtisés plusieurs fois par des parties qui veulent une participation dans MG Real Estate.

Nous avons aussi examiné une cotation en Bourse ou une conversion en société immobilière réglementée et en avons conclu que ce type d’approche financière ne correspondait pas à notre ADN. Nous demeurons, dans une large mesure, des bâtisseurs. Nous aimons encore bien enfiler nos bottes pour visiter un chantier. »

L'article a été publié dans Trends, 15/12/21.